La
Convention internationale des droits de l'enfant
et son interprétation en France

Pendant
des années la cour de cassation a refusé de considérer la
convention internationale relative aux droits de
l'enfant comme directement applicable en droit français.
Cela signifie que les justiciables ne pouvaient pas en
invoquer les articles, tant que ceux-ci n'avaient pas fait
l'objet de transposition dans notre droit par le biais d'une
nouvelle loi, française, modifiant nos codes.
Le Conseil d'Etat a le premier statué en sens contraire, et
admis l'application directe des dispositions ne nécessitant
aucun aménagement de notre droit. C'est ce qu'il vient de
confirmer dans une décision
du 27 juin 2008.
La Cour de Cassation s'est ralliée à cette position et
dorénavant statue dans le même sens. (arrêt du 13 mars
2007).
La convention
internationale des droits de l'Enfant est donc maintenant
applicable en droit français.
Décision du 27
juin 2008 :
CONSEIL D'ETAT
statuant au contentieux
N° 291561- Séance du 26 mai 2008
Lecture du 27 juin 2008
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
Le Conseil d'Etat statuant au contentieux
(Section du contentieux, 2ème et 7ème sous-sections réunies)
Sur le rapport de la 2ème sous-section
de la Section du contentieux
Vu la requête, enregistrée le 22 mars 2006 au
secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat, présentée par
Mme X, demeurant ; Mme X. demande au Conseil d'Etat :
1°) d'annuler la décision du 23 janvier 2006 du ministre des
affaires étrangères confirmant la décision du 6 mai 2004 du
consul général de France à Fès rejetant sa demande de visa
de long séjour pour l'enfant X., nonobstant l'avis favorable
de la commission de recours contre les décisions de refus de
visa d'entrée en France ;
2°) d'enjoindre au consul de délivrer le visa demandé ;
3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros
en application des dispositions de l'article L. 761-1 du
code de justice administrative ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Vu la convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales ;
Vu la convention internationale relative aux droits
de l'enfant ;
Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et
du droit d'asile ;
Vu le décret n° 2000-1093 du 10 novembre 2000 ;
Vu le code de justice administrative ;
Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mlle Sophie-Justine Liéber, Maître des
Requêtes,
- les conclusions de Mme Emmanuelle Prada Bordenave,
Commissaire du gouvernement ;
Considérant que M. Bossière, chef du service des étrangers
en France à la sous-direction de la circulation des
étrangers du ministère des affaires étrangères et signataire
de la décision contestée, avait reçu délégation de signature
pour signer les décisions relevant de ses attributions, en
vertu d'un décret du 9 juin 2005 publié au Journal officiel
le 11 juin 2005 ; qu'ainsi, le moyen tiré de l'incompétence
du signataire de la décision doit être écarté ;
Considérant que, nonobstant le fait que Mlle X a été confiée
à sa grand-mère, ressortissante française, par un acte dit
de "kafala" en date 20 novembre 2003, elle n'entre dans
aucune des catégories d'étrangers énumérées par l'article L.
211-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du
droit d'asile pour lesquelles une décision de refus de visa
doit être motivée ;
Considérant que l'acte de kafala qui, à la différence de
l'adoption, ne crée aucun lien de filiation et s'apparente à
un simple transfert de l'autorité parentale, n'emporte aucun
droit particulier à l'accès de l'enfant sur le territoire
français ; qu'il suit de là que Mme E. n'est pas fondée à
soutenir que le jugement du 1er septembre 2004, par lequel
le tribunal de grande instance du Mans a rendu exécutoire en
France le jugement de kafala rendu le 20 novembre 2003 par
le tribunal de première instance de Meknès, ouvrait droit à
sa petite fille au visa demandé ;
Considérant qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 3 de
la convention relative aux droits de l'enfant du 26 janvier
1990 : " Dans toutes les décisions qui concernent les
enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou
privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités
administratives ou des organes législatifs, l'intérêt
supérieur de l'enfant doit être une considération
primordiale " ; qu'il ressort des pièces du dossier que si
Mlle E., née le 3 janvier 1991, a été confiée à sa
grand-mère, Mme X, par un acte de kafala, et si plusieurs de
ses oncles, tantes et cousins vivent en France et ont la
nationalité française, elle a toujours vécu auprès de ses
parents au Maroc, où vivent également ses frères et sœur ;
qu'il n'est pas établi que les parents de Mlle E. seraient
dans l'impossibilité d'assurer l'entretien et l'éducation de
leur fille ; que Mme X n'établit pas qu'elle subviendrait
régulièrement aux besoins de sa petite fille ; qu'elle
n'allègue pas ne pas être en mesure de lui rendre visite
régulièrement au Maroc ; qu'ainsi, dans les circonstance de
l'espèce, le ministre des affaires étrangères n'a pas, en
prenant la décision contestée, méconnu les stipulations du
paragraphe 1 de l'article 3 de la convention relative aux
droits de l'enfant ; qu'il n'a pas davantage inexactement
apprécié les faits de l'espèce et méconnu les stipulations
de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des
droits de l'homme et des libertés fondamentales ;
Considérant qu'aux termes du paragraphe 2 de l'article 3 de
la convention relative aux droits de l'enfant : " Les Etats
parties s'engagent à assurer à l'enfant la protection et les
soins nécessaires à son bien-être, compte tenu des droits et
des devoirs de ses parents, de ses tuteurs ou des autres
personnes légalement responsables de lui, et ils prennent à
cette fin toutes les mesures législatives et administratives
appropriées " ; que, toutefois, la requérante ne peut
utilement se prévaloir, à l'appui d'un recours pour excès de
pouvoir, des stipulations précitées, qui sont dépourvues
d'effet direct ;
Considérant enfin qu'aux termes de l'article 12 de la même
convention : " 1. Les Etats parties garantissent à l'enfant
qui est capable de discernement le droit d'exprimer
librement son opinion sur toute question l'intéressant, les
opinions de l'enfant étant dument prises en considération eu
égard à son âge et à son degré de maturité. / 2. A cette
fin, on donnera notamment à l'enfant la possibilité d'être
entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative
l'intéressant, soit directement, soit par l'intermédiaire
d'un représentant ou d'une organisation appropriée, de façon
compatible avec les règles de procédure de la législation
nationale " ; que les stipulations du 2 de l'article 12
étant d'effet direct, un requérant peut utilement s'en
prévaloir à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir ;
que, toutefois, Mlle E. a été, dans la procédure de
délivrance d'un visa, représentée par sa grand-mère qui,
conformément à l'opinion exprimée par sa petite-fille
elle-même lors de son audition devant le tribunal de
première instance de Meknès, demandait pour elle la
délivrance de ce visa ; que les stipulations précitées, qui
garantissent à l'enfant la possibilité d'être entendu dans
les procédures judiciaires ou administratives l'intéressant,
n'imposent pas à l'autorité concernée de suivre l'avis
exprimé par l'enfant ; que, dès lors, le moyen tiré de la
violation des stipulations précitées doit être écarté ;
Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que Mme E.
n'est pas fondée à demander l'annulation pour excès de
pouvoir de la décision du ministre des affaires étrangères
du 23 janvier 2006 refusant le visa sollicité pour sa
petite-fille ;
Sur les conclusions aux fins d'injonction :
Considérant que la présente décision, qui rejette les
conclusions de Mme E. tendant à l'annulation de la décision
contestée, n'appelle aucune mesure d'exécution ; que, par
suite, les conclusions aux fins d'injonction présentées par
Mme E. ne peuvent qu'être rejetées ;
Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions
de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :
Considérant que ces dispositions font obstacle à ce que
l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente
instance, verse à Mme X la somme qu'elle demande au titre
des frais qu'elle a exposés et qui ne sont pas compris dans
les dépens ;
D E C I D E :
Article 1er : La requête de Mme X est rejetée.
Article 2 : La présente décision sera notifiée à Mme
X. et au ministre des affaires étrangères et européennes.
Délibéré dans la séance du 26 mai 2008 où siégeaient : M.
Serge Daël, Président adjoint de la Section du Contentieux,
Président ; M. Edmond Honorat, M. Rémy Schwartz, Présidents
de sous-section ; Mme Françoise Ducarouge, M. Christophe
Chantepy, Mme Martine Jodeau, Mme Christine Maugüé, M.
Gilles Bardou, Conseillers d'Etat et Mlle Sophie-Justine
Liéber, Maître des Requêtes-rapporteur.
Lu en séance publique le 27 juin 2008.
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